La salade liégeoise
Nicole Hanot
Documentation Charles-Xavier Ménage
Mise en ligne 23 décembre 201
La « salade liégeoise » est un mets dont tous sont friands au pays de Liège : enfants, adolescents, adultes, personnes âgées dans une étonnante unanimité.
Définition
On la résume en un mélange tiède de pommes de terre fermes et de haricots princesse cuits à l'eau et égouttés, auxquels on ajoute des ognons dorés à feu moyen dans du beurre puis des lardons de porc salé (ou fumé) frits à la poêle déglacée ensuite au vinaigre d'alcool. Cette salade constitue généralement un plat unique mais certains aiment la déguster avec des saucisses poêlées.
La Sonuma, qui assure numérisation, préservation et valorisation de différents fonds audiovisuels de la Fédération Wallonie Bruxelles, vous en propose la préparation par une jeune femme en vêtements '1960 bien que filmée en… 1975.
Selon des habitudes locales ou familiales, la salade liégeoise peut intégrer aussi de la farine, de la crème ou de la moutarde pour épaissir la sauce... ou du sirop de Liège pour corriger une acidité trop importante.
En 2007, le Guide des Connaisseurs indique que certains rissolent le lard, y ajoutent haricots et pommes de terre en tranches, mouillent à mi-hauteur, assaisonnent, ajoute le vinaigre et font enfin cuire....
Il indique aussi la variante du chef calidifontain René Neutel à l'huile d'olive et avec deux vinaigres (d'alcool et vin blanc).
Les pauvres cuisiniers qui se basent sur certaines recettes du web ajoutent à la base pommes de terre-princesses-ognon-lardons des morceaux de poire ou de prune, du cerfeuil frais, des chicons ou de la roquette, des dés de fromage, des radis ou des morceaux de concombre, 1 cuiller à soupe de miel (avec le vinaigre).
D'autres la servent en été sur un lit de laitue et la complétent avec des quartiers de tomates et d’œufs durs !
Ah la grande distribution… Dénaturer ainsi un mets régional traditionnel ! Mais que ne feriez-vous pas pour vendre davantage d'ingrédients ?
Quant à la recette de la Province de Liège, elle est illustrée… avec des pommes de terre en boite ! Chapeau !
De quand date-t-elle ?
Comme plusieurs générations l'ont préparée au pays de Liège, on a tendance à dire que cela date de loin et même peut-être du Moyen Âge.
En réalité, ce mets est bien plus récent : deux de ses ingrédients essentiels, pomme de terre et haricot, ne sont arrivés en Europe qu'après la découverte de l'Amérique !
L'association de la fève Vicia faba, des ognons et du lard remonte bien à l'époque médiévale mais le haricot utilisé dans la salade liégeoise descend de l'espèce Phaseolus vulgaris ramenée chez nous au XVIe siècle.
Dans son Grand Dictionnaire (1873), Alexandre Dumas indique à l'entrée Carême :
« En 1522, on fouetta par sentence du prévôt de Sens, et l'on condamna à l'amende honorable, devant la porte de l'église cathédrale le nommé Passeigne pour avoir mangé en Carême des Haricots au lard. »
Sans doute était-ce des « fèves de haricot » (des haricots secs) que le pauvre homme avait utilisées car Jacques Kother avance que ce sont les Italiens, au XVIIIe siècle, qui ont été les premiers à manger le haricot avant son état de maturité, lorsque la gousse est encore verte, que les graines sont à peine développées et que fil et parchemin ne sont pas encore formés.
Avec le temps, on a utilisé en cuisine le haricot vert sous deux formes :
- le haricot filet, très hâtif, immature, sans fil ni parchemin, dit aussi « extra-fin »
- le haricot mange-tout, qui ne développe pas de parchemin et dont la gousse peut être verte, jaune (haricot beurre) ou à gousse violette (variétés Purple) qui devient verte à la cuisson.
Le haricot vert s'appelle en wallon de Liège « manje-tout » ou « princèsse » – ce dernier terme signifiant, selon le Dictionnaire liégeois de Jean Haust paru en 1933, un haricot mange-tout… extra fin.
Mais Baptiste Frankinet nous fait remarquer que le terme princèsse n’était pas forcément bien ancré à cette époque dans les parlers puisque Joseph Bastin ne le reprend pas dans son Les plantes dans le parler, l’histoire et les usages de Wallonie en 1939.
De « salade liégeoise », Haust ne parle évidemment pas. Tout au plus cite-t-il une « salåde di manje-tout », ce haricot qu'on cultivait sur perches dans les jardins potagers privés et dans les ceintures maraichères de Liège et Huy.
Le conservateur du Musée de la Gourmandise, liégeois « pur jus », se souvient que sa mère préparait de la salade liégeoise dans les années 1950 mais que ses grands-parents maternels comme paternels n'en cuisinaient quasiment jamais.
On pourrait donc conclure que la « salade liégeoise » ne daterait que de la première moitié du XXe siècle.
NOTES
Avec nos remerciements à
- Baptiste Frankinet, responsable du fonds dialectal wallon du Musée de la vie wallonne,
- Régine Fabri du Jardin botanique de Meise.