Le « parmesan » - Grana (Padano) & Parmigiano reggiano
Nicole Hanot
Mise en ligne 1er mai 2008
Entreposage de Grana
Auteur : Wikirog – Sous licence GNU Free Documentation
Grana, le fromage granuleux… 1
Les fromages très durs de la Padanie sont connus depuis des siècles sous le nom générique de Grana.
De légères différences dans l’écrémage du lait, la fabrication du fromage, ses dimensions et ses formes permettent de distinguer le Bagozzo (ou Bresciano), l’Emiliano, le Lodigiano, le Lombardo, le Parmigiano, le Reggiano, le Veneto (ou Venezza). 2
Le parmesan est donc en réalité une variété de Grana.
Origine
Cela commence dans la vallée du Pô, ce Val Padana qui donne le nom de Padania 3 à un ensemble de régions groupées autour de ce fleuve qui traverse l’Italie du nord, des Alpes jusqu’à la mer Adriatique : Piémont, Lombardie, Émilie-Romagne, Vénétie. Pendant des millénaires, les limons et sédiments charriés par le Pô et ses affluents s’y sont accumulés, formant ainsi une plaine particulièrement propice à l’élevage et à la culture.
Aux alentours de l’an Mil pourtant, la Padanie était surtout un territoire de bois, marécages et clairières où paissaient chèvres et brebis.
Dans les années 1130, l’abbé cistercien Bernard de Clairvaux (Bernardo di Chiaravalle), venu à Milan avec quelques frères pour soutenir le pape Innocent II dans son conflit avec l’anti-pape, décide la fondation d’un monastère sur les terrains marécageux du sud de la ville. Les Cisterciens s’y installent, défrichent, y créent une abbaye (Abbazia… di Chiaravalle) et développent l’élevage.
Qui dit chèvre ou vache, dit lait et encore fromages...
Certains fromages de Padanie vont conquérir le monde entier : la mozzarella, et le parmesan qui nous occupe ici.
Un terrain propice
Au fil du temps toute la Padanie s’est transformée, ses habitants profitant du réseau hydrographique particulièrement riche : le Pô compte 141 affluents, dont le Tessin et l’Adda qui encadrent littéralement la région milanaise. Les Italiens ont régulé le débit saisonnier fort variable de ces fleuves en établissant un réseau de canaux.
En 1844, Benjamin Nadault de Buffon décrit longuement le système d’irrigation et de culture mis en place dans cette région qui est devenue le « jardin de l’Italie ». Les endroits naturellement humides sont consacrés à la culture du riz tandis que les autres, artificiellement irrigués, servent aux pâtures et aux cultures de céréales en assolement.
Il remarque que c’est la région de Lodi – ville médiévale, entre Milan et le Pô – qui est la plus avancée dans la gestion des terres, qu’on y élève le plus grand nombre de vaches sur une même superficie de terrain, et qu’on y a le mieux développé les marcite [prés d’hiver]. Il confirme ainsi les propos écrits en 1821 par une anglaise, Lady Morgan :
« Les terres qui sont assujetties à l'irrigation artificielle, sont réduites à un niveau calculé pour permettre le passage de l'eau sur la surface, sans rester stagnante de manière à rendre le terrain marécageux. (…) La prairie appelée prato di Marcita, parce qu'elle est fauchée dans le mois de mars, est plus productive, et reste verte toute l'année ; les bestiaux qui y paissent pendant l'hiver, donnent un tiers de plus de lait que dans les autres pâturages. Le prato di Marcita se fait en donnant un niveau plus élevé au terrain, et en le laissant sous l'eau depuis octobre jusqu'en mars, en prenant soin de choisir les sources les plus chaudes. Dans les terres inondées de Lodi, le riz ne fait point partie de la rotation, et l'on cultive le double de terre en prés. C'est là que se fait presque tout le fromage appelé parmesan ; on n'en fabrique pas une seule livre dans le duché de Parme. »
Le mot est lâché : le parmesan ne provient pas du duché de Parme !
Beaucoup pourtant – dont les auteurs du Dictionnaire de l'académie des gastronomes –, affirment que le lieu d’origine du fromage est la province de Parme – en région d’Émilie-Romagne, au sud du Pô – et que c’est pour cela qu’il s’appelle parmesan…
D'où vient son nom ?
Émile Littré en 1873, et Pierre Larousse l’année suivante – personnes généralement… très bien informées – affirment que le parmesan est bien fabriqué à Lodi et que s’il porte ce nom, c’est parce que Marie-Amélie de Habsbourg-Lorraine, devenue duchesse de Parme par son mariage avec Ferdinand Ier de Parme, un des petit-fils de Louis XV, le fit connaitre à Paris.
D’où ont-il tiré cette information ? Nous n’avons trouvé que cette affirmation de Marie Nicolas Bouillet, en 1857 :
« Il se fabrique surtout en Lombardie, aux environs de Lodi, ou dans les États sardes, dans les prairies qui avoisinent Marengo. On prétend que le nom de Parmesan lui fut donné en France, parce qu'on en vit, pour la première fois à Paris, à un repas qu'y donnait la duchesse de Parme (épouse du duc de Parme, Ferdinand, petit-fils de Louis XV). » 4
Marie-Amélie de Habsbourg-Lorraine, duchesse de Parme
Auteur : Caro1409 – œuvre anonyme tombée dans le domaine public.
Et pourtant… il y avait bien plus longtemps qu’on connaissait le parmesan en France ! Il y était arrivé à l’époque des guerres d’Italie, entamées par le roi de France Charles VIII, à la fin du XVe siècle et poursuivies par Louis XII et François Ier.
En 1600, Olivier de Serres, dans Le théâtre d’agriculture et mesnage des champs, plaçait déjà le Parmesan au premier rang, l’appelant aussi parfois fromage de Milan ou de Lombardie, et le décrivant aussi grand qu'une meule de moulin.
De Serres nous permet aussi de savoir que déjà à cette époque la fabrication du parmesan était copiée : « On l’observe dans quelques endroits de la Suisse, où l’on cherche à imiter le Parmésan. » 5
Olivier de Serres, 1539-1619
Auteur : Valérie75 – œuvre anonyme tombée dans le domaine public.
On sait aussi qu’un morceau de parmesan fut le dernier repas de Molière :
« Quand il fut dans sa chambre, Baron voulut lui faire prendre du bouillon, dont la Molière avoit toujours provision pour elle ; car on ne pouvoit avoir plus de soin de sa personne qu’elle en avoit. « Eh ! non » dit-il, « les bouillons de ma femme sont de vraie eau forte pour moi ; vous savez tous les ingrédiens qu’elle y fait mettre : donnez-moi plutôt un petit fromage de Parmesan. » La Forest lui en aporta ; il en mangea avec un peu de pain ; et il se fit mettre au lit. »
J.-L. le Gallois, Sieur de Grimarest – La vie de Mr de Molière, Paris, 1705
Tout au long du XVIIIe et du XIXe siècle, de nombreux auteurs parlent du parmesan comme fromage de Lodi ou de ses environs. Aucun ne le situe dans la région de Parme… Voyez :
« Parmesan. Fromage qui vient de Parme en Italie, ou qui a la réputation d'en venir ; tous les fromages qui portent ce nom & celui de Milan ne se faisant qu'à Lodi. »
Encyclopédie méthodique ou par ordre de matières: par une société
de gens de lettres, de savans et d'artistes, Commerce, T. III, Paris, 1784
« Des immenses prairies qui environnent Milan nourissent une grande quantité de vaches, que les fermiers entretienent pour la consomation des leurs fourrages. La bonne nourriture que ces vaches reçoivent, les rend très-productives en lait ; ce lait, outre son usage ordinaire comme dans les autres pays, est employé dans la province de Milan pour faire du fromage de Grana, dit mal à propos Parmesan. Il se fait une quantité considérable de ce fromage : on évalue à plus de 15,000,000 de francs la valeur de cette marchandise qui se trouve dans les magasins de Corgico, Lodi, Codogno, et les autres environs. Nous engageons l'étranger à visiter ceux de Corsico, qui se trouve situé à 3 milles de Milan sur le canal de Buffalora. Tout ce village ne contient que des magasins de fromage, et quelques maisons pour les personnes employées à leur entretient. Les bâtimens sont spécialement établis pour cet usage ; ils sont faits en forme de galerie double. Il y a des magasins qui contiennent 2, 3, et jusqu'à 4 000 formes. Chaque forme de fromage pèse environ 100 livres poids de marc ; et un de ces fromages, lorsqu'il est vieux, coute jusqu'à 100 francs. L'étranger verra dans ces magasins un ordre et une propreté admirable. Les fromages sont rangés sur des étages comme des in-folio ans une grande librairie. Cette marchandise se conserve cinq, six ans, et ce fromage plus il est vieux, plus il acquiert de la qualité. Il s'en fait des expéditions dans toutes les capitales de l'Europe, même au delà des mers. Il supporte le voyage sans altération. Il est très-agréable à manger ; on l'employe beaucoup dans la cuisine. Les magasins des frères Longo sont les plus considérables ; ils en font un commerce très-étendu. » 6
Giovanni Battista Carta, Nouvelle description de la ville de Milan, Milan, Jean-Pierre Giegler, 1819
« Observations sur la fabrication faites par M. Huzard fils sur les lieux mêmes ; c'est dans la province de Lodi plutôt qu’à Parme. […] Les vaches qui fournissent le lait pour le fromage de Parmesan sont aussi bien celles du pays que celles de Suisse qu'on y amène parfois. »
Louis Colas, Journal de pharmacie et des sciences accessoires,
T. IX, Paris, Société de pharmacie de Paris, 1823
« Le fromage connu sous le nom de Lodésan ou de Parmésan, se prépare par un procédé d'une identité presque complète avec le précédent [gruyère] (...) Mais, ce qui tient sans doute à un degré de cuisson plus avancé, la pâte du fromage de Parmésan est sèche et grenue, tandis que celle du Gruyère est unie, compacte et serrée. »
Louis Benjamin Francoeur et Pierre Jean Robiquet, Dictionnaire universel des arts et métiers
et de l'économie industrielle et commerciale, T. III, Paris, 1840
« Codogno (...) est le centre du commerce du fromage dit parmesan ; une grande quantité de ce dernier est fabriqué dans les fermes du Brescian, du Bergamasc, du Milanais et du Crémonais, provinces dont les plaines offrent de vastes prairies artificielles, couvertes de superbes bestiaux. »
Adrien [Adriano] Balbi, Abrégé de géographie, rédigé sur un nouveau plan d'après
les derniers traités de paixet les découvertes les plus récentes, Paris, Jules Renouard, 1842
« Une forte odeur de fromage s'exhale de toutes les maisons de Lodi. C'est là qu'on fabrique ce parmesan si vanté en cuisine et qui répand son parfum sur l'Italie entière. Parme, en lui donnant son nom, usurpe une gloire qui ne lui appartient pas. Comme le nouveau monde, ce fromage est mal nommé, et la ville de Lodi peut se plaindre avec autant de raison que Christophe Colomb de l'injustice et de la légèreté des hommes. »
Paul de Musset 7, Voyage pittoresque en Italie, partie septentrionale,
Paris, Belin-Leprieur et Morizot, 1855
« […] jusqu'à nos jours certains fromages d'Italie ont gardé leur réputation, principalement ceux de l'espèce qu'on appelle parmesan, et qui se fabriquent à Lodi et dans les environs de cette ville. »
Adolphe Chéruel, Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France,
2e partie, Paris, Hachette, 1855
« Le Parmesan (Parmigiano) improprement nommé, et qui devrait plutôt s'appeler Lodigiano, est désigné dans le pays sous le nom de Grana. Le territoire où on le produit est compris entre le Tessin, le Pô et l'Adda, Milan, Pavie et Lodi, dans un quadrilatère mesurant 50 milles d'Abbiategrasso à Codogno, et 30 de Pavie à Milan. »
Augustin Joseph Du Pays, Itinéraire descriptif, historique et artistique de l'Italie et de la Sicile,
Paris, Hachette, 1855
« J'achetai des traductions que je fus fort surpris de trouver à Lodi, qui jusqu'alors ne m'avait paru respectable que par son excellent fromage, connu dans toute l'Europe sous le nom de parmesan. Cet excellent fromage est de Lodi et non de Parme, et, le même jour, je ne manquai pas d'ajouter un commentaire à l'article Parmesan, dans mon dictionnaire des fromages, ouvrage que j'avais entrepris et que j'ai abandonné dans la suite, ayant reconnu l'entreprise au-dessus de mes forces, de même que J.J.Rousseau trouva au-dessus des siennes celui de la botanique.»
Giacomo Girolamo Casanova di Seingalt, Mémoires, Bruxelles, J. Rozez, 1860
« [...] Ainsi le chou de Milan vient de Plaisance, comme le fromage de Parmesan vient de la Lombardie. »
Baron Trouvé, Voyage dans la Belgique, la Hollande et l’Italie par feu André Thouin, Paris, 1861
« Il n'y a pas plus de boeuf fumé de Hambourg à Hambourg, que de choux de Bruxelles à Bruxelles, que de fromage parmesan à Parme, que d'huîtres d'Ostende à Ostende. »
Théophile Gautier, Voyage en Russie, Paris, Charpentier, 1867
Le parmesan connu internationalement est donc bien originaire de la région de Lodi, et non de Parme.
Un fromage à pâte pressée cuite, rond, plat, préparé à partir du lait de vache.
On trouve aussi dans la littérature du XIXe siècle des informations quant aux vaches qui fournissent le lait dont on fait le parmesan :
« La route qui conduit de Pavie à Milan, est constamment tracée entre deux canaux dont l'un sert à la navigation et l'autre aux irrigations qui enrichissent la campagne. Elle traverse de la sorte une vaste plaine toujours arrosée et consacrée à la culture si productive du riz et à de riches pâturages. Dans ces pâturages, que l'on appelle marcites, s'engraissent les plus belles vaches suisses, avec le lait desquelles se fait le fameux fromage Parmesan. Les marcites sont constamment tenues à fleur d'eau et conservent pendant les plus fortes chaleurs de l'été et sous les neiges de l'hiver la plus belle verdure. Ces prairies donnent de 5 à 8 coupes par an. »
Bulletin de la Société industrielle et agricole d'Angers et du département de Maine-et-Loire,
15e année, Angers, Cosnier et Lachèse,1844
« Le fameux fromage parmesan, le plus cher de tous (...) On prétend que la qualité du parmesan dépend beaucoup de la nature des aliments que les vaches consomment. L'opinion communément accréditée que le parmesan est fait en partie avec du lait d'ânesse, est considérée comme mal fondée par les personnes les mieux informées. »
Henri Colman, De l'agriculture et de l'économie rurale en France, en Belgique, en Hollande et en Suisse,
trad. de l'anglais par Hector Le Bailly de Tilleghem Mortier, Bruxelles, imp. De Janssens-Defossé, 1850
« On estime à 80 000 les vaches qui alimentent cette production. On les tire des cantons suisses d'Unterwald, Uri, Zug, Lucerne et Schwitz ; on les achète à l'âge de 3 ou 4 ans, et elles donnent du lait pendant 7 années environ. Plus de 11 000 sont introduites tous les ans. La production annuelle s'élève à environ 16 millions de kilogr., qui représenteraient 32 millions de francs, mais une moitié seulement réussit à avoir toute sa valeur ; l'autre, par suite de défectuosités, se consomme avant maturité parfaite, d'où il suit une perte de valeur qu'on peut estimer à 8 ou 9 millions de francs, que les agriculteurs lombards, depuis un temps immémorial, abandonnent chaque année en holocauste au hasard. Un membre de la Société d'encouragement de Milan a récemment proposé de substituer une méthode régulière, aidée d'instruments de précision, à cette routine aventureuse. Ses observations ont porté coup : la balance, le thermomètre et l'horloge ne sont plus inconnus dans les laiteries où on fabrique le fromage. – Il ne s'expédie guère à l'étranger plus de 1 400 kilogr. Les principaux magasins sont à Codogno (Lodigiano) et Corsico (Milanese). »
Augustin Joseph Du Pays, Itinéraire descriptif, historique et artistique de l'Italie et de la Sicile,
Paris, Hachette, 1855
« Les fermes sont garnies de grands troupeaux de 80 à 100 vaches, ordinairement magnifiques, achetées en Suisse, et nourries avec les excellents herbages des prés et des marcité. Le lait de ces vaches est destiné à faire le formaggio di grana, ou fromage du Parmesan, que nous avons déjà cité parmi les produits importants du pays. »
Revue des deux mondes, XXIXe année, T. XXIV, Paris, 1859
Plusieurs auteurs français s’intéressent de très près à la fabrication du parmesan, se rendent en Lombardie pour l’étudier et, rentrés en France, font des communications scientifiques en suggérant parfois d’en utiliser ou d’en adapter la recette pour augmenter la production française de fromages et permettre le développement de certaines contrées rurales. On peut citer en exemple :
- Louis Colas, Observations sur la fabrication faites par M. Huzard fils, Journal de pharmacie et des sciences accessoires, T IX, Paris, Société de pharmacie de Paris,1823
- Les Travaux de la Société centrale d'agriculture du Département de la Seine-Inférieure, Rouen, 1843
- Le livre de la ferme et des maisons de campagne par une réunion d’agronomes, de savants et de praticiens, sous la direction de Pierre Joigneaux, T I, Paris, Victor Masson, 1863
Ils indiquent que le parmesan est légèrement coloré par l’ajout de safran (l’une des épices les plus couteuses, réalisée par le séchage des styles et stigmates de la fleur du Crocus sativus).
Crocus sativus
Auteur : Saravask – Œuvre sous licence GNU Free Documentation
On peut résumer la fabrication de ce fromage en une trentaine d’étapes :
le casier 8 doit
- traire les vaches matin et soir
- écrémer
- garder le lait au frais jusqu'au lendemain matin
- chauffer le lait à 24 ou 25°C,
- provoquer le caillage en pressant de la présure tout en remuant constamment le lait
- éteindre le feu et couvrir la chaudière à fromage ; en une heure le lait est caillé
- refaire un feu très vif et remuer la masse pour la diviser
- ajouter le safran
- remuer toujours jusqu'à obtention de 25°C
- diviser à nouveau le caillé aussi finement que possible
- chauffer jusqu’à 43°C
- retirer la chaudière du feu et laisser reposer pendant 15 minutes
- ôter le petit-lait qui recouvre la masse
- mélanger la partie caséeuse avec les mains et la presser en une masse ferme
- sortir le fromage dans un linge et le poser dans une faisselle pour égouttage
- le placer dans une forme en bois
- le laisser pour la nuit dans un endroit frais
- enlever le linge et laisser reposer 4 jours
- saler la surface
- pendant 3 semaines, retourner chaque jour le fromage et le saler
- pendant 3 semaines ne plus le retourner mais le saler
- le racler,
- verser dessus du petit-lait chaud
- comprimer la croute avec un plateau de bois
- enduire le fromage d'huile de lin
- le mettre ensuite dans un endroit sec et sombre
- le retourner 2 fois par jour et le graisser tous les 2 jours.
Il peut arriver que des microbes (bactéries) liquéfient la pâte durant la maturation. Pour déterminer si c’est le cas ou non, les fromagers frappent la meule avec un marteau. Lorsque la percussion indique l’existence d’une cavité, ils ouvrent le fromage, nettoient la caverne et la « cautérisent » au fer chaud. Ce fromage est ensuite vendu râpé.
Il faut noter que le Larousse gastronomique de Prosper Montagné, indique que la maturation dure près de quatre ans et que le fromage se conserve ensuite une bonne vingtaine d’années.
Une législation internationale
Dès le début du XXe siècle, la compétition commerciale est vive entre les différentes variétés de Grana ; après la 1ère Guerre mondiale, l’Italie doit également faire face aux imitations étrangères (notamment argentines). Les producteurs tentent de se regrouper en consortiums pour défendre et promouvoir leur produit.
Il en est de même dans d'autres pays.
En 1953 entre en vigueur une convention internationale signée en 1951 à Stresa par l’Autriche, le Danemark, la France, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse pour garantir l’appellation et la composition de certains fromages. La Convention de Stresa s’appuie sur des lois italiennes antérieures. Elle décide de différencier les fromages « Grana » du « Parmigiano Reggiano ».
Publicité pour un parmesan... de Parme – Tôle emboutie, début XXe siècle – © BMG
Le 30 octobre 1955, une loi spéciale italienne détermine que doivent être appelés « Parmigiano Reggiano » les fromages de type Grana fabriqués dans les provinces de Bologne (à droite du fleuve Reno – 1 sur la carte ci-dessous), Mantoue (à droite du Pô – 2), Modène (3), Parme (4) et Reggio (5).
Carte réalisée à partir l'une de ce site.
Sont appelés « Grana Padano » ceux qui sont fabriqués Alexandrie (6), Asti (7), Cuneo (8), Novare (9), Turin (10), Vercelli (11), Bergame (12), Brescia (13), Côme (14), Crémone (15), Mantoue (à gauche du Pô – 2), Milan, Pavie (16), Sondrio (17), Varèse (18), Trente (19), Padoue (20), Rovigo (21), Trévise (22), Venise, Vérone (23), Vicence (24), Bologne (à droite du Réno – 1), Ferrare (25), Forli (26), Plaisance (27) et Ravenne (28).
Différences entre ces fromages
Grana Padano | Parmigiano Reggiano | |
Consortium |
Consorzio per la Tutela del Formaggio Grana Padana Via T. da Cazzaniga, 9/4 I-20121 Milan Italia tél. +39 (0)309 109811 www.granapadano.com |
Consorzio del Formaggio Parmigiano-Reggiano Via Kennedy, 18 I-42100 Reggio Emilia ITALIA tel. +39 (0)522 307741 www.parmigiano-reggiano.it |
Base |
Lait cru de vache (nourries de fourrages verts ou conservés, même par ensilage), reposé et connaissant un écrémage partiel spontané par affleurement |
Lait cru de vache nourries de fourrages locaux, verts ou conservés traditionnellement (utilisation du fourrage fermenté exclu), partiellement écrémé |
Forme |
Cylindre de forme légèrement convexe, diamètre de 35 à 45 cm, hauteur 18 à 15 cm |
Cylindre de forme légèrement convexe, diamètre de 35 à 45 cm, hauteur 18 à 24 cm |
Poids de la meule |
De 24 min. à 40 kg |
De 33 à 40 kg |
Couleur extérieure |
Foncée ou huilée |
Foncée et huilée |
Pâte |
Pressée, pâte dure et cuite. Affinage naturel de minimum 12 mois. De couleur blanche ou paille, finement granuleuse, avec des trous à peine visibles. Épaisseur de la croute naturelle: de 4 à 8 mm |
Pressée, pâte dure et cuite. Affinage naturel de minimum 12 mois. De couleur jaune paille, fine, granuleuse, avec des trous à peine visibles, fondante au palais Épaisseur de la croute naturelle : +/- 6 mm |
Saveur |
De parfumée à boucanée |
Fruitée, lactique sans être piquante |
Période de fabrication |
Toute l’année |
Du 15 avril au 15 novembre |
Période de garde |
Au moins deux ans |
3 à 4 ans |
Diététique |
32% matières grasses minimum Importante source d’énergie, d’assimilation immédiate 330 g protéines/kg vitamines A, B1 et B2, PP, E). sels minéraux dont calcium (1 280 mg/100 g), phosphore et fer Digeste |
32% à 40 % matières grasses. Importante source d’énergie, d’assimilation immédiate 329 g protéines/kg, vitamines et sels minéraux dont calcium et phosphore Digeste |
Étiquettage |
Impression du label d’origine (un trèfle à quatre feuilles pour identifier la laiterie et la province), la marque de qualité (losange qui atteste le standard de qualité) au fer rouge sur le pourtour. Commercialisé en meules, en portions sous vide ou râpé, la marque de qualité (losange) et le numéro d’autorisation du Consortium étant inscrite sur le sachet |
Série de "Parmigiano-Reggiano" pointillée tout autour de la meule. Commercialisé en meules, en portions sous vide ou râpé, la marque du Consortium étant inscrite sur le sachet On distingue trois catégories d’affinage pour le Parmigiano Reggiano : il est dit Fresco lorsque l’affinage dure moins de 18 mois, vecchio avec un affinage de 18 à 24 mois, stravecchio s’il est affiné pendant 2 à 3 ans, stravecchione si l’affinage dépasse 3 |
Appellation protégée
En 1996, les AOP européennes (appellation d'origine protégée, D.O.P. = dénomination d'origine protégée, en italien) sont décernées aux Grana Padano et au Parmigiano-Reggiano, déterminant toutes les phases de production (type de bétail, techniques d’élevage, type de fourrage, fabrication du fromage, conditionnement).
Cela n’empêche pas d’autres pays de commercialiser du parmesan.
Sans doute est-ce parce que la langue française était la langue véhiculaire 9 du XVIIe au XIXe siècle qu’on utilise comme terme générique, dans le monde entier, le nom « parmesan » pour des fromages de type Grana…
Rien n'empêche, jusqu'à présent, des pays extra-européens de fabriquer et de vendre du « parmesan ».10
L'Argentine produit, depuis l'immgration italienne, du Reggianito (diminutif espagnol de Reggiano), un parmesan de plus petite taille (6 à 8 kg), affiné durant 6 mois seulement, ...et souvent vendu aux U.S.A. sous le nom de Parmesan.
Le parmesan d'Amérique du Nord est fabriqué à partir d'un caillé plus grossièrement fragmenté que pour le parmiggiano-reggiano et connait une maturation bien moins longue ; il est pressé mécaniquement ; les meules sont en moyenne de 11 kg ce qui modifie la saturation en sel pendant le saumurage : ce parmesan en contient deux tiers de plus que l'italien AOC ; aucun organisme ne contrôle les ingrédients de base ou le procédé de production.
La Commission européenne tente de réagir contre cet état de fait au niveau mondial, et doit intervenir au sein même de l'Europe, ce qui soulève pas mal de problèmes juridiques. Ainsi :
La Cour européenne de Justice à Luxembourg, saisie par la Commission européenne, vient de rendre, en février 2008, son arrêt dans le litige qui oppose l'Italie à l'Allemagne à propos du Parmesan car on trouve en Allemagne du « parmesan » qui n'est pas fabriqué selon les normes qui valent au Parmigiano Reggiano italien son AOP.
Les juges ont décidé que l'Italie a raison... mais qu'ils ne peuvent condamner l'Allemagne car il « n'y a pas obligation pour un État membre de prendre d'office les mesures nécessaires en vue de sanctionner, sur son territoire, les atteintes à ces appellations provenant d'un autre État membre ».
Ils ont ajouté que « Les structures de contrôle sur lesquelles repose l'obligation d'assurer le respect des AOP sont celles de l'État membre d'où provient l'AOP en cause. »
Affaire à suivre… en Europe.
Remarques :
1. Voici le véritable Parmesan :
Auto-portrait œuvre du Parmesan – circa 1524
Auteur : Stanmar – œuvre tombée dans le domaine public.
Parmesan est le nom francisé d'un peintre de la Renaissance italienne, Girolamo Francesco Maria Mazzola ou Mazzuoli dit il Parmigianino parce qu'il est né à Parme.
Gustave Flaubert cite dans une de ses lettres « Le garçon croit que le fromage de Parmesan est l'auteur de tous les tableaux désignés sous le nom de Parmesan (...) ».
2. Parme est aussi fort connue par ses violettes et par le roman de Stendhal...
NOTES
[1] Grana venant du latin granum = grain – retour au texte
[2] Dictionnaire des fromages, Larousse, 1972 – retour au texte
[3] Padanie en français. – retour au texte
[4] Marie Nicolas Bouillet, Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts, Hachette, Paris 1857. – retour au texte
[5] Cité in Le Legrand d'Aussy, Histoire de la vie privée des François depuis l'origine de la nation jusqu'à nos jours, T. II, Paris, Laurent-Beaupré, 1815. – retour au texte
[6] Nous avons respecté l’orthographe et les italiques du texte. – retour au texte
[7] Frère d'Alfred de Musset. – retour au texte
[8] Casier : s.m. Savant. Fabricant de fromage de Parmesan. in Frédéric Charrassin, Ferdinand François, Dictionnaire des racines et dérivés de la langue française, Paris, Héois, 1842. – retour au texte
[9] Langue qui permet la communication entre des peuples ou ethnies de langues différentes. – retour au texte
[10] Cependant, la firme états-unienne Kraft appelle prudemment son parmesan « pamesello italiano » lorsqu'elle le vend en Europe... – retour au texte
BIBLIOGRAPHIE
Bibliothèque du Musée Postes restantes
dont/et
Émile Littré, Dictionnaire de la Langue Française par E. Littré de l’Académie française, 1873
Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1874
Léone Bérard, Guide des fromages et de leurs à-côtés, imp. À Poitiers, Éd. de la Courtille, 1978
Louis Bourdeau, Histoire de l'alimentation, 1894, Alcan
Adolphe Chéruel, Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, 2e partie, Paris, Hachette, 1855
Robert J. Courtine, Dictionnaire des fromages, Paris, Larousse, 1972
Dictionnaire de l'académie des gastronomes, Paris, Prisma, 1962
Élizabeth Glachant et Paule Meunier, Le guide des fromages de France et d'Europe, Paris, Sélection du Reader's Digest, 1995
Prosper Montagné, Larousse gastronomique, Paris, Larousse, 1938
Christian Plume, Le livre des fromages avec le dictionnaires des fromages du monde, Paris, Éd. des deux coqs d'or, 1968
http://it.wikipedia.org/wiki/Abbazia_di_Chiaravalle
http://ec.europa.eu/agriculture/qual/fr/1bbab_fr.htm