Crémaillère

Richard Bit
Mise en ligne 1er juillet 2008


Peu d'entre nous conservent en mémoire le souvenir d'une mère ou d'une grand-mère en train de régler la crémaillère, qui dans la cheminée soutenait la casserole en fonte où mitonnait à petit feu le repas de la journée.

Progrès oblige, cette image désormais surannée coïncide dans nos régions avec la disparition des âtres peu compatibles avec nos habitations modernes et avec un intérêt accru pour la rapidité et la facilité.

L'utilisation de la crémaillère, sous diverses formes, se perpétue cependant dans certaines régions rurales et montagnardes, dans certains pays peu favorisés ainsi qu'en certaines circonstances devenues assez exceptionnelles (cuisine en plein air).

La jeunesse actuelle ne connait plus cet instrument, jadis d'une utilité incontestable, qu'au travers de l'expression « pendre la crémaillère » (et sans trop en connaitre l'origine).

 

Définition

Crémaillère : objet d'âtre pour la cuisson.
Une définition moins lapidaire 1 nous donne : « pièce de fer plate, dentelée et recourbée par le bas, qu'on suspend dans les cheminées pour soutenir la marmite et d'autres vaisseaux 2 sur le feu ».

Plus précisément, la crémaillère est constituée d'une barre verticale fixe sur laquelle vient se régler, à différentes hauteurs, un élément mobile muni d'un crochet (souvent de section plate), le crémaillon, qui soutient le récipient.
Différents systèmes permettent le réglage de la hauteur par rapport au foyer (anneaux, crocs, crans, ergots, échelons, situés soit sur la partie fixe, soit sur la partie mobile).

« On donne le même nom à une bande de fer plat, sur la longueur de laquelle on a pratiqué des dents ou hoches profondes. Cette bande a un bout de chaine à une de ses extrémités, par lequel elle peut être suspendue ; elle est embrassée par une autre bande de fer plat qui se meut sur elle, dont l'extrémité supérieure peut s'arrêter dans chacune de ses dents, & dont l'inférieure est terminée par un crochet. On place cet assemblage dans les cheminées de cuisine ; on fait descendre ou monter le crochet à discrétion, par le moyen des dents ou crans ; on passe un pot à anse ou un chauderon dans le crochet, & ce vaisseau demeure ainsi exposé au-dessus de la flamme. »

Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers
dir. Diderot et d'Alambert, Paris, 1751 à 1772

Les crémaillères, en nombre variable, sont suspendues soit directement à un piton fiché au fond de la cheminée, soit à un porte-crémaillère.

Des crémaillons en S ou formés d'une boucle munie d'un ou deux crochets sont utilisés comme allonge ou pour suspendre plusieurs récipients.

 

Étymologie

L'origine du mot est assez controversée ; pour certains elle viendrait du grec kremastêr (qui suspend), pour d’autres du verbe latin cremare (bruler) qui lui-même proviendrait d'une racine sancrite cri, crâ (cuire).

Au XIe s., on rencontre le mot en bas-latin sous la forme cramaculus.
En latin médiéval, on trouve cremalia (au pluriel) 3, qui a donné en ancien français « cramail » vers 1220, puis vers la fin du XIIIe siècle « carmeilliere ». Enfin, vers 1450 « cramailliere » et en 1690 « cremaillere ».

La forme actuelle, avec les accents aigu et grave est plus récente ; elle est mentionnée dans le Dictionnaire de l'Académie (édition 1762-1932).

Dans le domaine des hypothèses, signalons que le bas-latin cremium (morceau de bois sec, fagot) conviendrait également ainsi que le bas-allemand avec la forme Kram (crampon).

En wallon, nous connaissons les mots cramâ 4, rouchi, crém'glie, craméglie et en picard : cramaillé, crémaillé, crimbilli.

 

Expression : « Pendre la crémaillère »

Cette expression, reprise en 1694 dans le dictionnaire de l'Académie française, signifie actuellement donner un repas ou une fête pour inaugurer son installation dans un nouveau logement.

L'expression viendrait du Moyen Âge quand l'usage était d'effectuer la cuisson dans l'âtre de la cheminée. La crémaillère servait alors à éloigner plus ou moins la marmite du feu en fonction de la puissance de cuisson souhaitée.
Elle constituait donc un équipement essentiel à mettre en place lors de la construction d'une maison et il était alors de coutume d'inviter, pour les remercier, l'ensemble des personnes ayant participé aux travaux.
 
Pendre la crémaillère dans une maison prenait symboliquement valeur de foyer, signifiant que la famille pouvait être logée et nourrie.

Autre coutume : Au pays basque, il était habituel, quand un nouvel employé arrivait, qu'il aille dans la cuisine faire le tour de la crémaillère et son patron lui disait : Si tu t'en vas avant un an, tu n'auras rien. Ceci était possible car les maisons basques étaient souvent pourvues d'un foyer central, avec une crémaillère suspendue à une poutre centrale.

 

Historique

La domestication du feu à des fins culinaires a tôt fait naitre le problème de la cuisson des aliments dans des récipients.
L'inventivité humaine a permis de palier la fragilité de ces derniers (d'abord en céramique puis en métal) par l'utilisation d'un foyer en pierre qui faisait office de trépied pour soutenir le récipient, puis par la création de petits trépieds.

Ensuite, vers le VIe s. avant J.-C. (période de Hallstatt), apparurent au nord des Alpes, chez les Celtes, les crémaillères et les trépieds en fer.

foyer-en-pierre

Foyer en pierre

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Trépied

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Trépied avec crémaillère pour récipient à oreilles

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Trépied avec crémaillère pour récipient à anse

 


Types  de crémaillères

Si la typologie des crémaillères ne pose pas trop de problèmes, une répartition géographique est plus malaisée à déterminer  – mis à part, peut-être, le sempiternel clivage nord-sud en France : crémaillères à chaines et à crocs dans le Sud, à crans dans le Nord.

La crémaillère à chaines (ou à anneaux) et à crocs, à crochets ou à boucles :

Elle est constituée par une chaine de gros anneaux ou une succession de crocs reliés par des anneaux.
C'est vraisemblablement le plus ancien système qui ait vu le jour.
Il se composait généralement d'une tige torsadée munie d'un crochet de suspension pour le trépied. La tige était prolongée par des anneaux où un croc permettait d'accrocher les anses de la marmite.
Encore usité de nos jours (dans le sud de la France notamment), ce système ingénieux, peu encombrant et facilement transportable, permet de régler facilement la hauteur du récipient par rapport à la source de chaleur grâce à la mobilité des anneaux.

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Crémaillère à chaine et à croc et détail
Illustration : Tacuinum Sanitatis, Moyen Âge
Auteur : Sailko – Œuvre tombée dans le domaine public.

On en distingue deux grandes catégories :

  1. deux tiges reliées par une suite d'anneaux formant une chaine
  2. trois tiges reliées par des anneaux

La crémaillère à crans (ou à dents) :

C'est une plaque de métal longue et étroite, dont un des côtés comporte des crans  (parfois sur les deux côtés avec blocage dû à un double étrier). Elle coulisse verticalement le long d'une tige fixe dont l'étrier mobile se bloque dans un des crans, suivant la hauteur voulue.

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Crémaillère à crans
Détail de Le Christ chez Marthe et Marie, Joos Goemaere, circa 1600 – Musée de la Gourmandise
Auteur : Égoïté – Sous licence GNU Free Documentation.

La tige fixe peut aussi comporter deux branches latérales auxquelles il est possible de suspendre des récipients par l'intermédiaires d'autres crémaillons. On parle dans ce cas d'une crémaillère cruciforme.

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Crémaillères cruciformes – © BMG

 

La crémaillère à coulisse :

La lame dentée comporte une ouverture sur une partie de sa hauteur de manière à permettre à la lame fixe (sur laquelle se trouve l'étrier de blocage) d'y coulisser à l'intérieur.
Ce système permet de donner plus de rigidité à la crémaillère à crans traditionnelle.

La crémaillère à crans avec cliquet :

Elle comporte un système de cliquets venant se bloquer dans le cran choisi en fonction de la hauteur de cuisson désirée.

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Crémaillère à coulisse

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Crémaillère à cliquet

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Crémaillère à manivell

 

La crémaillère à crans avec manivelle :

Elle est déplacée verticalement à l'aide d'une manivelle, située à une hauteur fixe prédéterminée. Cette manivelle actionne une roue à crans dans lesquels viennent se bloquer les crans de la plaque mobile verticale.

La crémaillère à échelons :

C'est une plaque verticale fixe (formes variées) percée d'une série de trous superposés dans lesquels vient se bloquer la partie supérieure du crémaillon. Elle peut comporter un ergot articulé maintenu sur la partie fixe; la plaque à échelons mobile fait corps avec le crémaillon.

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Simple crémaillère à échelons

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Simple crémaillère à ergot

 

La crémaillère à ergots :

Il s'agit d'une barre mobile, munie d'un crémaillon, qui comporte une série de dents saillantes permettant le blocage à la hauteur désirée dans l'étrier fixé sur la partie immobile de la crémaillère.

La crémaillère de berger :

Il s'agit d'un type de crémaillère en bois, de fabrication rudimentaire et artisanale, dont la création dépend entièrement de l'ingéniosité et de la fantaisie du berger.

 

Modes de suspension

Les crémaillères, en nombre variable, peuvent être suspendues directement à un piton fixé dans la cheminée ou à un porte-crémaillère.

On distingue notamment :

La potence pivotante : (notamment dans les bergeries au XVIe s.)

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Cuisine d'un prince italien au XVIe siècle – in B. Scappi, Dell'Arte del Cuoco
Auteur : Rainer Zenz – Œuvre tombée dans le domaine public.


Le support triangulé : (XVIe s.) :

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Pour conserver l'équilibre de l'ensemble, les gros récipients étaient suspendus à la crémaillère centrale.

Le support en arc à trois crémaillères :

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Cheminée dans l'Abbaye de Mortain – Dessin de Viollet-le-Duc, XIXe siècle
Auteur : Buzz – Œuvre tombée dans le domaine public.


Le support en cœur : (du XVIe au XVIIIe s.)

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Le support en barre horizontale :  (principe utilisé pour les crémaillères de berger)

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Une cuisine dans Joel Dorman Steele and Esther Baker Steele, A Brief History of the United States, 1885
Auteur : Ealdgyth – Œuvre tombée dans le domaine public.

 


 

NOTES

[1] Émile Littré, Dictionnaire de la Langue Française par E. Littré de l’Académie française, 1873 retour au texte

[2] Vaisseau = récipient retour au texte

[3] Mais également au XIVe s. cremasculus et cremasclus retour au texte

[4] Voir le dictionnaire de Haust retour au texte

 


 


BIBLIOGRAPHIE.

  • Émile Littré, Dictionnaire de la Langue Française par E. Littré de l’Académie française, 1873
  • Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1874
  • Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, dir. Diderot et d'Alambert, Paris, 1751 à 1772
  • Jean Haust, Dictionnaire liégeois, 2e partie, Liège, 1933
  • Catherine Arminjon et Nicole Blondel, Ministère de la Culture, Principes d'analyse scientifique, Objets civils domestiques, vocabulaire, Paris, 1984.
  • Raymond Lecoq, Les objets de la vie domestique. Ustensiles en fer de la cuisine et du foyer des origines au XIXe s., Berger-Levrault, Paris, 1979.
  • Henry René D'Allemagne, Decorative antique ironwork, a pictorial treasury, Dover, New York, 1968.
  • Magazine Trentino Emigrazione n°31, dicembre 2004, Trento
  • http://dictionnaire.mediaco.com
  • http://www.patrimoine-de-france.org
  • http://www.cornelsen.de